« Tourner la page »

08.09.2017 | Par Léandre Ackermann | Utilisation | Les bibliothèques informent | Relations publiques | Organisation | Locaux et infrastructure | Accueil en bibliothèque| Démarches participatives | Bibliothèque régionale de Moutier

Ayant constaté qu’une partie de la population ne profitait plus de ses offres, la Bibliothèque de Moutier a lancé avec succès un projet participatif permettant à la population d’exprimer ses besoins et suggestions.

Par Léandre Ackermann
Illustratrice de formation, autrice de bande dessinée, Léandre Ackermann est actuellement bibliothécaire à temps partiel à Moutier (remplaçante de la responsable), avec une formation de base CLP.
Si la bibliothèque est un lieu de partage du savoir (et donc du pouvoir), son rôle démocratique peut s’incarner à différents degrés, parfois jusque dans son organisation. C’est l’intérêt des démarches participatives comme celle qui a été entamée à Moutier à l’automne 2016 avec le projet « Tourner la page ».
 
Entrer dans une démarche participative : un grand pas à notre petite échelle
Partant du constat qu’une partie de la population, dont les jeunes, ne fréquentait pas ou peu la Bibliothèque de Moutier, cette dernière s’est associée au Service de la Jeunesse et des Actions Communautaires (SeJAC), pour mettre en place un projet participatif.
 
Un « projet participatif » peut être « informatif », « consultatif » ou encore « collaboratif ». « Tourner la page » visait un niveau de participation élevé puisque le processus lui-même a été défini par les participants et que ceux-ci avaient un réel pouvoir d’action et de décision sur toutes les phases de l’exercice.
 
Le SeJAC a proposé de le réaliser en intégrant non seulement les jeunes mais tous les habitants de la ville. Il a donc réuni un groupe de pilotage hétérogène, représentatif de la population et symboliquement présidé par son membre le plus jeune. Ce comité était chargé de délibérer des grandes lignes du projet jusqu’aux plus petits détails.
 

 L’affiche du projet par Maëlle Schaller et l’agence Citronnelle
 

Trois soirées conviviales et thématiques
La population a été invitée à participer à trois soirées, orientées respectivement vers la critique, l’utopie et la réalisation. Chaque soir, quatre ateliers permettaient aux participants de s’exprimer sur l’infrastructure, l’aménagement, l’ambiance et l’offre (collections et services) de la bibliothèque. Les idées exprimées étaient ensuite mises en commun et la soirée se terminait par un buffet et une animation, notamment un joli « combat de livres » qui a permis de désacraliser l’objet.
 

 L’équipement du « combat de livres » (Photo : Tatiana Meunier)
 

Construire un sentiment de légitimité
Public particulièrement ciblé mais difficile à atteindre, les jeunes ont été appelés à participer à la communication du projet, que ce soit par la distribution de flyers (pdf) , la réalisation de courtes vidéos, la récolte de livres auprès des habitants ou la disposition de livres en libre-service. Ils ont ainsi pu intégrer par eux-mêmes les enjeux du projet.
 

 Plus de 2000 livres ont été récoltés et distribués sur des stands en libre-service (Photo : SeJAC)
 
Entre trente et quarante personnes se sont rendues à chaque soirée. Parmi elles, une majorité de jeunes usagers du SeJAC, mais aussi des personnes âgées, des responsables politiques, des parents, des familles… Bref, une belle diversité du point de vue des âges mais aussi des origines sociales. De telles rencontres, au cours desquelles chaque participant a pu se sentir légitime, valorisé et écouté, représentent déjà un succès pour la dimension sociale de la démarche.
 
Il restera comme image forte celle de Diogo. À seize ans et fraîchement arrivé en Suisse, il a, au terme du dernier atelier, pris la parole devant tous les participants pour présenter la synthèse de son groupe, qui comprenait notamment un membre de l’exécutif communal (a priori plus disposé à réaliser cette tâche).
 

 Un groupe en pleine réflexion (Photo : Tatiana Meunier)
 

La collaboration continue…
Les animateurs du SeJAC ont produit une synthèse des ateliers. Celle-ci a été soumise au comité de pilotage qui s’est prononcé sur les actions à réaliser : aménager un espace extérieur, repenser la signalétique, collaborer avec la Commission des étrangers pour acquérir des ouvrages en langues étrangères…
 
La bibliothèque a pris des mesures immédiates et non coûteuses, allant dans le sens des besoins exprimés par les participants : réaménagement de l’espace (coin café), élargissement de l’offre (DVD), mise à disposition de wifi gratuit... Le groupe de pilotage a déjà acheté le mobilier de la terrasse de la bibliothèque. À plus long terme, son accès devrait être facilité par des travaux d’ouverture du bâtiment.
 
Rare point faible de « Tourner la page » : son coût relativement élevé ne l’a rendu possible qu’avec un fort soutien au niveau communal, cantonal et fédéral. De même, les améliorations proposées lors des ateliers ne peuvent être réalisées dans notre budget de fonctionnement habituel et nécessitent d’autres recherches de fonds... Ou d’autres collaborations.
 
 
 
Des illustrateurs ont suivi les ateliers pour croquer des anecdotes (Dessin : Benohit)
 

Évaluation par les participants et par la bibliothèque
Interrogés par le SeJAC, certains jeunes confirment venir plus volontiers à la bibliothèque. Les plus réticents arrivent cependant mieux à identifier les obstacles qui les tiennent à distance de ce lieu.
 
La bibliothèque a constaté une augmentation de 50% de prêt « ado », alors que ce chiffre était resté stable depuis 2008. Le projet aura aussi été l’occasion d’une grande remise en question sur la façon de promouvoir les services de la bibliothèque. Il apparaît nécessaire de communiquer à l’extérieur, non seulement sur le thème de la lecture mais aussi sur les autres services offerts par la bibliothèque.
 
Le développement de ces services, attendus aussi par les non-lecteurs, engage la bibliothèque dans l’idée moderne d’une institution « troisième lieu». À l’avenir, la bibliothèque de Moutier espère encourager les usagers à ne pas venir seulement pour acquérir des connaissances, mais aussi pour partager celles qui leur sont propres, par exemple lors d’animations collaboratives. Après tout, le partage du savoir ne passe pas que par les livres…
 

 Une terrasse et un frigo en guise de boîte à livres, installés à l’arrière de la bibliothèque (Photo : bibliothèque)

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