Revisiter sa bibliothèque sous l’angle du troisième lieu

19.02.2014 | Par Mathilde Servet | Utilisation | Collections | Locaux et infrastructure | Troisième lieu| Espace bibliothèque| Formation et perfectionnement| Offre de la bibliothèque| Orientation clients

Présentation du stage proposé par Mathilde Servet en mai 2014, dans le cadre des cours de perfectionnement organisés par la CLP à Lausanne

Par Mathilde Servet
Ancienne enseignante d'allemand, Mathilde Servet est conservatrice des bibliothèques. Elle est actuellement chef du service Savoirs pratiques à la bibliothèque publique d'information du Centre Pompidou à Paris. Elle s'intéresse en parallèle à la bibliothèque troisième lieu et travaille ponctuellement en tant que consultante auprès de programmistes, architectes et bibliothèques. Elle intervient régulièrement lors de journées d'étude ou dans le cadre de formations à ce sujet.
Ce stage se déroulera sur deux jours et aura pour objectif de saisir en finesse ce que signifie la bibliothèque troisième lieu, d’aborder tous les aspects qui la sous-tendent et d’en présenter de nombreuses traductions concrètes, à toutes échelles, du milieu urbain au milieu rural.
 
Dans un premier temps, il importera de bien comprendre ce que recoupe la notion de troisième lieu, concept forgé au début des années 1980 par le sociologue urbain Ray Oldenburg pour décrire les espaces publics propices au développement d’une vie communautaire informelle épanouie, s’inscrivant en pendant du premier lieu, sphère du foyer et du second lieu, domaine du travail. Au départ, le concept de  troisième lieu a été pensé sans que la bibliothèque soit nécessairement associée à celui-ci. Oldenburg voyait dans le café la matrice idéale du troisième lieu ; le café dans une acception cependant assez idéalisée, descendant de l’agora grecque ou du forum romain, où tous pouvaient se retrouver, débattre et participer à la vie de la cité. Ce n’est que plus tard que d’autres, sociologues ou bibliothécaires, ont identifié la bibliothèque, ou une certaine déclinaison de celle-ci, à un troisième lieu particulièrement opérant: un lieu de sociabilité, de rencontres, d’échanges autour des livres, de la culture, de la vie, un espace d’information, d’apprentissage et de loisirs. Nous verrons de façon détaillée au cours du stage en quoi la notion de troisième lieu peut trouver dans la bibliothèque une incarnation particulièrement appropriée.
 
Par le prisme de nombreux exemples, le stage permettra de mieux comprendre comment la bibliothèque troisième lieu renouvelle sa sémantique architecturale et l’aménagement de ses espaces afin de proposer aux usagers des environnements attrayants, accueillants, chaleureux afin de désinhiber les usagers, de les mettre à l’aise et que le plus grand nombre ait envie de séjourner en son sein, en fonction de ses besoins spécifiques. L’idée n’étant pas de chasser un public pour un autre, mais bien que des publics et des usages différents puissent cohabiter harmonieusement à la bibliothèque. On doit pouvoir venir y lire, s’informer, apprendre, se détendre, jouer, assister à des débats et des spectacles, participer à des ateliers, etc. En outre, chacun doit pouvoir trouver son cheminement culturel propre, sans avoir la sensation d’être jugé sur son pedigree culturel, en partant de ce qu’il est. Nous passerons en revue de nombreux cas concrets afin de montrer comment la culture peut être véhiculée différemment, non pas en adoptant une posture fortement prescriptive, mais dans une approche d’accompagnement, inclusive. Cette approche se double très souvent d’une vocation sociale plus affirmée. Les bibliothèques troisième lieu souhaitent en effet fonctionner comme des points névralgiques de la vie de leurs cités. Elles permettent de réinjecter du « capital social », du lien entre les individus, de restaurer un sentiment d’appartenance communautaire. Elles travaillent beaucoup sur le collectif et mettent en place en ce sens nombre d’actions et de dispositifs collaboratifs qui rendent les usagers acteurs. Par le biais de différentes illustrations, nous étudierons comment les usagers peuvent être associés à la réflexion sur les projets de bibliothèques, leurs missions, leurs animations et parfois même devenir producteurs de contenus culturels.
 
Le stage mettra en lumière que nous ne nous situons pas dans une opposition public versus collections, mais qu’il s’agit pour établir son offre de collections et de services de partir des publics que l’on souhaite desservir, en analysant finement en amont leurs besoins, leur ancrage géographique et social, à l’instar des Idea Stores londoniens, qui connaissent toujours un taux de fréquentation et d’emprunt parmi les plus élevés de tout le Royaume-Uni, plus de dix ans après l’ouverture du premier d’entre eux à White Chapel. Dans l’approche troisième lieu, les bibliothèques n’hésitent pas à se faire hybrides en s’adjoignant de nouvelles missions ou en s’alliant à d’autres entités au sein d’un même organisme. Nous verrons que cette démarche peut s’avérer particulièrement fructueuse en milieu rural et qu’elle permet même d’injecter du livre là où il n’y en avait pas auparavant. Les échelles plus modestes constituent d’ailleurs un atout pour la bibliothèque troisième lieu car elles génèrent plus facilement de la proximité et permettent de repenser la bibliothèque en fonction de son contexte local de façon très innovante.
 
Si les bibliothèques troisième lieu font un pari résolument physique, elles restent dans le même temps tout à fait en phase avec les évolutions technologiques, la dématérialisation des supports et proposent à leurs usagers de nouvelles offres et services numériques qui entrent en résonance avec la sociabilité, la convivialité et la collaborativité qui les caractérisent. Durant la seconde journée du stage, nous analyserons certains de ces dispositifs et examinerons comment ceux-ci peuvent s’avérer particulièrement adaptés pour les jeunes. Nous aborderons également plusieurs cas concrets de projets destinés aux enfants et aux adolescents qui ont fait leur preuve et tenterons de comprendre ensemble quels ingrédients ont pu concourir à leur succès. Nous verrons en effet que la nature de la bibliothèque troisième lieu, ludique, enjouée et créative répond très bien aux attentes de ces publics.
 
Enfin, il s’agira de bien saisir qu’indépendamment des moyens qu’on peut déployer pour un projet –même si ceux-ci doivent bien sûr être un minimum raisonnables pour garantir sa réussite – il est avant tout question d’état d’esprit et de s’autoriser à penser les choses autrement, dans une autre perspective, qui ménage davantage de place à l’humain. Il n’est pas nécessaire de disposer de nouveaux locaux pour s’inscrire dans une démarche « troisième lieu ». Plusieurs bibliothèques qui ont ouvert leur porte il y a trente ou quarante ans  à l’instar de Rotterdam dans un contexte très urbain ou de Tapanila, petite bibliothèque finlandaise plantée dans un cadre champêtre, ont su se renouveler, se réinventer en conservant en grande partie leur cadre d’origine, mais en se prêtant à un « relooking » et en redéfinissant leurs missions. Un atelier pratique à l’issue de stage permettra aux participants de revisiter leurs établissements sous l’angle du troisième lieu. Ce stage n’aura pas pour but de prescrire des recettes miracles toutes faites, mais ambitionne d’ouvrir de nouveaux horizons, de faire envisager le quotidien professionnel et la relation aux usagers, aux collections, aux services un peu différemment, de donner des clés pour trouver ses propres solutions en fonction de son contexte et aussi de se rappeler que l’on fait un très beau métier, plein de sens pour la communauté.
 
 Mathilde Servet

Informations supplémentaires et inscription >
 

Mathilde Servet est également l’auteur de l’article « La Bibliothèque, un lieu de rencontres, de la culture, de la vie et un espace d’information, d’apprentissage et de loisirs », paru dans ce dossier thématique.
 



 

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