« La première chose que j’ai faite, c’était débrancher le téléphone ! »

27.09.2022 | Par Markus Jost | Personnel | Organisation | Bibliothèque et inclusion

Robin Masur est sourd de la naissance. Il est responsable du « Centre pour l'information et la documentation chrétiennes (CIDOC) » à Lausanne et chef de quatre collaborateurs. Dans l'entretien, il raconte ses expériences dans sa vie professionnelle comme bibliothécaire.

Par Markus Jost
Né le 16 mai 1980 (42 ans), Robin Masur, qui réside à Vevey (VD) est sourd de naissance. Il a poursuivi tout son cursus scolaire dans un milieu scolaire ordinaire dans l’Est vaudois, et a effectué des études de théologie à l’université de Lausanne (1999 à 2004) avant d’enchaîner par des stages puis un bachelor à la Haute Ecole de Gestion (HEG) de 2006 à 2009. En poste au CIDOC depuis 2009, il est marié. Sa femme et leurs deux enfants sont également sourds.
Robin Masur, vous êtes sourd et vous dirigez un centre de documentation. Pouvez-vous nous présenter brièvement ce qu’est le « Centre pour l'information et la documentation chrétiennes (CIDOC) » à Lausanne et quelles sont vos tâches ? 
 
Eh bien, le CIDOC est un organisme œcuménique, qui est soutenu à la fois par l’Église catholique et l’Église réformée du canton de Vaud. Il a pour mission d’organiser et de mettre à disposition de la documentation théologique et catéchétique. Dans les faits, ce que nous proposons est très varié : livres, revues, films, matériel d’animation, jeux de pistes, posters, une importante collection d’histoire kamishibaï bibliques. Bref, nous avons à la fois du matériel pour les adultes et pour les enfants : nous naviguons en permanence entre le ludique et le sérieux académique. Notre centre de documentation est ouvert à tout le monde : n’importe qui peut venir s’inscrire (sans frais) et profiter de nos services.
 
Je travaille avec quatre collaborateurs : deux bibliothécaires, une apprentie AID ainsi qu’une secrétaire-comptable. J’organise le travail de mes collaborateurs, définis les priorités stratégiques, réponds pour toutes les tâches administratives en lien avec le CIDOC ainsi que la gestion budgétaire et suis chargé de la communication auprès de nos publics.
 
Quels sont les plus grands défis que vous rencontrez dans votre quotidien professionnel en lien avec votre handicap ? Et comment les surmontez-vous ?
 
Je ne parlerais pas tellement de défis mais plutôt d’aménagements en lien avec ma surdité : La première chose que j’ai faite, c’était débrancher le téléphone ! Si quelqu’un veut me contacter, il doit impérativement m’écrire par mail. C’est un mode de communication que j’apprécie beaucoup, ce d’autant plus qu’il permet de garder, en permanence, une trace écrite de ce qui a été dit et convenu. Pour les colloques du lundi matin, je fais appel à une codeuse-interprète en LPC (Langue française parlée complétéeà ne pas confondre avec la langue des signes ! Le LPC veut dire langage parlé complété ; la personne qui vient pour moi répète ce que disent mes collaborateurs. Cela facilite beaucoup la gestion de la séance et nous permet de gagner du temps). Autrement, je travaille beaucoup en individuel avec chacun de mes collaborateurs en lisant sur leurs lèvres.
 
Comment avez-vous vécu la gestion de votre handicap pendant votre formation et plus tard dans le monde du travail ?
 
La présence d’une codeuse-interprète en LPC qui répète ce qui est dit par l’enseignant et par les camarades de classe a été absolument fondamentale pour la réussite de mon parcours, tant au gymnase, qu’à l’université de Lausanne (études en faculté de théologie) puis à la Haute école de gestion à Genève. Le problème principal concernait les échanges entre deux, trois personnes ou plus : c’est tout simplement impossible de suivre ! Cela a un impact dans le sens qu’il m’est difficile de m’insérer naturellement dans une dynamique de groupe, à la pause de midi, par exemple. Mais c’est un aspect de la surdité que je connais depuis tout petit et je vis avec. Et bien sûr, le soutien de mes parents, de ma fratrie et de mon épouse tout au long de ces années a été absolument précieux !
 
Quels sont, selon vous, les défis particuliers des bibliothèques en matière d'inclusion ?
 
Clairement l’ouverture d’esprit au moment de consulter le CV d’un candidat à un poste de travail qui annonce ou fait entrevoir l’existence d’un handicap. Je suis intimement persuadé qu’il n’est pas innocent que ce soient les Églises qui aient pris le risque d’engager un sourd à un poste de responsabilité et non pas des bibliothèques publiques ou même des entreprises privées. Les Églises ont été absolument exemplaires sur ce plan-là.

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