Proposer des offres interculturelles – c’est aussi possible pour les petites bibliothèques

16.01.2019 | Par Silvia Heizmann | Collections | Les bibliothèques informent | Bibliothèque et migration| Diversité culturelle| Offres interculturelles

Cinq participantes du cours de base SAB-CLP 2018 montrent comment leurs bibliothèques se sont ouvertes à la diversité culturelle.

Par Silvia Heizmann
Silvia Heizmann a fait des études d’ethnologie, de psychologie et de philosophie. Active dans une bibliothèque interculturelle et dans un lieu de rencontre pour femmes immigrées, elle s’engage également dans le cadre du projet Mondomedia.
En Suisse, une personne sur trois a des origines étrangères. La diversité culturelle est devenue une réalité qui se fait observer déjà depuis longtemps, non seulement dans les villes mais aussi dans les petits villages. La majorité des immigré-e-s parle une autre langue à la maison et doit apprendre une de nos langues nationales. Comme on apprend plus facilement une nouvelle langue si l’on dispose de connaissances solides dans sa langue première, les bibliothèques, censées être des lieux de rencontre, d'intégration et de médiation culturelle pour tous les groupes de la population, ont ici une tâche importante à accomplir. Mais quelles offres les bibliothèques de petite ou moyenne taille peuvent-elles proposer ? Et comment les immigré-e-s peuvent-ils/elles soutenir la bibliothèque dans ses efforts ? Dans le cadre d’un cours de base SAB-CLP qui s’est tenu à la HEP de Berne, cinq participantes ont élaboré des projets pour leurs bibliothèques en prenant en considération les particularités démographiques de leurs communes et des informations supplémentaires qu’elles ont obtenues grâce à des entretiens menés avec des expert-e-s et des personnes-clés.
 
La communauté portugaise à Zermatt
Silvia Burgener Bächler et Karin Biner-Perren de la bibliothèque scolaire et communale de Zermatt ont été contactées par une enseignante qui donne des cours de langue et de culture d'origine (CLCO) à des élèves provenant de familles portugaises. Comme la lecture consolide les connaissances de grammaire, celle-ci voulait encourager les enfants à lire davantage en portugais et était à la recherche de livres que les enfants pouvaient emprunter. A Zermatt, véritable bastion du tourisme, un habitant sur cinq vient du Portugal, dans le village voisin de Täsch, ce chiffre dépasse même les 40 pour cent, et les écoles y comptent autant d'enfants de langue portugaise que d'enfants germanophones. Autant de raisons convaincantes pour considérer la population portugaise vivant à Zermatt et dans les environs comme nouveau groupe cible. Afin de connaître les besoins en matière de documents, les deux bibliothécaires ont mené des entretiens avec un membre du corps enseignant CLCO, la présidente de l'association de langue et culture portugaises et une experte en matière d'intégration. Parallèlement, elles se sont renseignées sur les particularités des bibliothèques et de l’instruction publique au Portugal. Leurs recherches ont révélé que de nombreux immigrant-e-s portugais-e-s de la première génération ne disposent que d’un niveau d'instruction relativement faible et que certain-e-s d’entre eux n’ont pas appris à lire et à écrire dans leur jeunesse, car au Portugal, suite à la dictature, qui a pris fin en 1974, seule une petite minorité avait accès au système scolaire élitiste, le système de neuf années d’école obligatoire n’ayant été mis en œuvre que dans les années 1990.
 
Un buffet de livres en langue portugaise
Les deux collaboratrices de la bibliothèque de Zermatt décident d’engager une collaboration avec Bibliomedia. Tenant compte des résultats de leurs recherches, elles décident de commander également des livres portugais en langage simplifié. Afin de faire connaître sa nouvelle offre, la bibliothèque organise une journée de présentation pour la population d’origine portugaise. Pendant cette journée, la bibliothèque accueille les différentes classes CLCO. Et le soir, un « buffet portugais » proposant des livres susceptibles d’inciter l'appétit de lire est mis en évidence comme un vrai repas.
 
Photo : Katrin Affolter
  
Largement diffusé, cet événement rencontre un vif intérêt. Les représentant-e-s des autorités se montrent enthousiaste du projet, présenté à la fois dans les bulletins d’information de Zermatt et de Täsch (Zermatt inside (pdf) 2018/2, p.13, Täscher Gugger (pdf) n° 20, p.6). Pour l’avenir, on prévoit d’organiser des rencontres régulières avec le corps enseignant CLCO et d’élargir, au besoin, l’offre des documents en portugais.
 
Presque un an après le lancement du projet, les bibliothécaires constatent que la population d’origine portugaise n’emprunte pas seulement des documents en langue portugaise, mais aussi en langue allemande. De plus, ces personnes continuent à fréquenter la bibliothèque régulièrement, en particulier les enfants, qui s’y rendent également pendant leur temps libre ou entre l’école et l’enseignement CLCO. Pour que la bibliothèque garde son attrait pour le nouveau public, les deux bibliothécaires ont décidé de compléter l’offre en matière de documents par un cycle d’animations régulières.
 
Anglais et français à Grossaffoltern
Dans le deuxième travail terminal du cours SAB-CLP, les trois auteures se concentrent sur la bibliothèque en tant que troisième lieu. Elles estiment que de tels lieux de rencontre publics informels jouent un rôle important pour le fonctionnement d'une société. En impliquant explicitement des personnes parlant une langue étrangère, les auteures souhaitent faire un pas en avant vers la bibliothèque du futur, de manière à ce qu'un maximum de personnes de différents horizons et de différentes langues puisse utiliser cet espace public. Isabella Hübscher-Stalder de la bibliothèque communale de Grossaffoltern explique que de nombreuses jeunes familles se sont installées dans le village rural ces dernières années. Les données démographiques montrent que plus de 96% de la population sont germanophones. Les autres habitant-e-s viennent de 31 pays différents et parlent au minimum autant de langues différentes. Comme chaque langue n’est parlée que par très peu de personnes, la bibliothécaire de Grossaffoltern se concentre sur l’augmentation de l’offre de médias en anglais et en français, car cela correspond aussi à un besoin de la jeune génération. Afin d’inciter les visiteurs à s’attarder à la bibliothèque, il est également décidé de proposer des magazines. Un court questionnaire rempli sur place, fournit des informations sur les besoins des lecteurs-trices. Par la suite, une petite collection de médias en anglais et en français est commandée chez Bibliomedia, qui est échangée quatre fois par an. Se fondant sur les résultats de l’enquête, la bibliothèque s’abonne également à une série de magazines, dont Geo et Geolino, qui traitent d'autres cultures et sont fortement sollicités.
 
La nouvelle offre linguistique rencontre un beau succès. Après plus de six mois, elle est toujours très appréciée, en particulier par les élèves du secondaire (lectures faciles en français) ou les jeunes qui préfèrent lire par exemple Harry Potter dans la version originale anglaise. Selon la bibliothécaire, il est important que l’arrivée d’une nouvelle sélection de Bibliomédia en langues étrangères soit toujours annoncée et mise en valeur afin de rendre le public friand de ces lectures. En outre, il est prévu d’organiser des « apéros en français » et des « apéros en anglais » accompagnés d'une lecture dans la langue correspondante.
 
Des offres en 18 langues à Münchenbuchsee
Katrin Affolter de la bibliothèque communale de Münchenbuchsee explique comment, au fil des années, la commune s’est transformée en une banlieue de Berne. Comme plus de 16 % des d’habitant-e-s de la commune sont d’origine étrangère et appartiennent à 78 nationalités différentes, elle a estimé nécessaire d’élargir l’offre linguistique de la bibliothèque, qui jusque-là ne proposait que des documents en allemand, français et anglais. Après avoir étudié la stratégie de formation de la commune, qui stipule qu’en plus du soutien scolaire des enfants et des adolescents de langue étrangère, de nouvelles mesures d’intégration sont nécessaires, elle a décidé de mettre en place une offre susceptible de soutenir les enfants et adolescent-e-s appartenant à d’autres groupes linguistiques, ce qui permet à la bibliothèque de se positionner en tant que prestataire de services.
 
Afin de pouvoir mettre en place une offre adéquate, la bibliothécaire réalise une enquête détaillée auprès des enseignant-e-s dispensant des cours d’allemand langue seconde (ALS), qui montrent un vif intérêt pour le projet prévu. Ensuite, en collaboration avec Bibliomedia, elle effectue un choix d’albums et de livres de première lecture en 18 langues. Pour faire connaître cette nouvelle offre, la bibliothèque crée un flyer multilingue, disponible auprès de diverses institutions, et publie un communiqué dans l’infobulletin de la commune (Buchsi-Info (pdf) p. 27).
 
Photo : Silvia Burgener-Bächler
  
À l'occasion d'un apéritif, le conseil municipal est également informé de l’offre multilingue. De nouvelles animations sont prévues pour les classes ALS ainsi que des matinées de contes, où les parents lisent des histoires à leurs enfants dans leur langue d'origine.
 
Huit mois après le lancement du projet, la bibliothécaire constate que l’offre multilingue suscite assurément beaucoup d’intérêt, le public appréciant l'engagement de la bibliothèque dans cette thématique. La participation de la bibliothèque à une journée organisée par la crèche municipale semble également avoir joué un rôle important pour le succès du projet, car cela lui a permis de présenter son offre, à établir des contacts et à échanger des points de vue avec des parents de langue étrangère. Pour l’avenir, il est prévu de maintenir les contacts avec les écoles, les enseignants ALS et l’association interculturelle pour femmes.
 
Manifestations en langues étrangères à Ostermundigen
Les recherches effectuées par Brigitte Burn de la bibliothèque communale d’Ostermundigen montrent que l’ancienne commune ouvrière située dans l’agglomération de la ville de Berne compte aujourd’hui 25% d’habitant-e-s d’origine étrangère, provenant de 98 pays différents. Tenant compte de cette particularité, la bibliothèque communale propose déjà depuis quelque temps une offre, très prisée, en huit langues, mais celle-ci était réservée aux enfants. Afin de contribuer à l’égalité des chances, Brigitte Burn désire créer une offre pour des immigré-e-s adultes qui soit également susceptible d’intéresser des personnes peu instruites. Elle décide de mettre à disposition l'infrastructure de la bibliothèque pour des manifestations en langues étrangères et, en se fondant sur les données démographiques et les résultats d’une enquête, elle envisage de compléter l’offre de la bibliothèque par des manuels d’allemand et des livres en portugais et tamoul. En élaborant son projet, elle noue des contacts avec la déléguée à la culture de la commune d’Ostermundigen, le Centre d’information pour les immigré-e-s (Informationsstelle für Ausländerinnen und Ausländer), des bibliothèques sœurs du réseau bernois et la bibliothèque interculturelle du Zentrum5 à Berne.
 
La mise en place de la nouvelle offre est prévue pour le début de la nouvelle année scolaire, mais suite à des coupures budgétaires, la bibliothèque décide de renoncer à l’idée d’élargir son offre en matière de documents en langues étrangères au profit de la collection de manuels et documents facilitant l'apprentissage de la langue allemande, offre très sollicitée, notamment par un groupe de femmes d’origine étrangère qui fréquentent des cours d’allemand. En outre, on décide de proposer toutes les quatre semaines des cafés-échanges en langue française. Rencontrant un grand succès, ces derniers se poursuivront. Ce qui est également très apprécié par les client-e-s d’origine étrangère, c’est que la bibliothécaire, grâce aux connaissances qu’elle a acquises, peut leur fournir des informations et conseils précieux.
 
Courage et persévérance
Faisant preuve d’une grande ouverture d’esprit, les cinq bibliothécaires présentées dans cet article ont prouvé qu’il est également possible pour les bibliothèques de petite ou moyenne taille de mettre en place des offres interculturelles adéquates. Les projets qu’elles ont élaborés en se fondant sur des recherches et en entamant des collaborations ont tous suscité un grand intérêt. Il convient cependant de noter qu’il ne suffit pas de lancer des projets, il faut assurer leur suivi à long terme, faire face à d’éventuels problèmes ou échecs temporaires et ancrer le travail interculturel dans le quotidien de la bibliothèque. Le travail interculturel en bibliothèque ne consiste pas seulement à mettre en place un éventail de prestations, il concerne bien d’autres domaines, tels que l’image de la bibliothèque, l’organisation interne ou la motivation du personnel. Les auteures mentionnent à quel point le travail de persuasion était parfois important au sein de l’équipe de la bibliothèque. En outre, elles soulignent le rôle fondamental qu’ont joué dans leurs projets les sondages et les contacts avec les personnes clés, qui se sont souvent montrées très motivées. Grâce à elles, de nombreuses synergies se sont créées, permettant aux bibliothèques de se transformer en un lieu de rencontre ouvert, tolérant et multilingue.

Pour conclure, notons encore qu’en impliquant délibérément les autorités et en mettant en avant son apport à l’intégration, la bibliothèque ne pourra que gagner en légitimité sociale et politique.
 
Traduction de l’article « Interkulturelle Bibliotheksarbeit – auch für kleinere Bibliotheken ein Thema ! » par SilviaHeizmann

 
Mondomedia – bibliothèques ouvertes
Mondomedia est soutenu par Baobab Books, Bibliomedia et Interbiblio. Mondomedia encourage la sensibilisation et l’expertise en matière de travail d’intégration dans les bibliothèques publiques en proposant des cours de formation et de perfectionnement ainsi que des conseils spécialisés. Sur www.mondomedia.ch on trouve par ailleurs un argumentaire, une check-list avec des suggestions relatives à l'élaboration de projets, les sources d'approvisionnement, une bibliographie et une sélection de liens.  
 

Travaux présentés :
  • Biner-Perren, Karin, Burgener Bächler, Silvia. Portugiesische Bevölkerung als neue Zielgruppe. 2018.
  • Affolter, Katrin, Burn, Brigitte, Hübscher-Stalder, Isabella. buch | wORT | kultur. Neues Fremdsprachenangebot in drei verschiedenen Bibliotheken. 2018.

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