La bibliothèque, un lieu de rencontres, de culture, de vie, un espace d'information, d'apprentissage et de loisirs

19.02.2014 | Par Mathilde Servet | Utilisation | Collections | Locaux et infrastructure | Espace bibliothèque| Offre de la bibliothèque| Orientation clients| Troisième lieu

Genèse d’une réflexion sur les bibliothèques troisième lieu – ou l’histoire d’une conviction

Par Mathilde Servet
Ancienne enseignante d'allemand, Mathilde Servet est conservatrice des bibliothèques. Elle est actuellement chef du service Savoirs pratiques à la bibliothèque publique d'information du Centre Pompidou à Paris. Elle s'intéresse en parallèle à la bibliothèque troisième lieu et travaille ponctuellement en tant que consultante auprès de programmistes, architectes et bibliothèques. Elle intervient régulièrement lors de journées d'étude ou dans le cadre de formations à ce sujet.
On parle beaucoup aujourd’hui de la bibliothèque troisième lieu et on en parle régulièrement à mauvais escient, sans trop savoir de quoi il s’agit. Le risque est, en la réduisant à la vision caricaturale d’un environnement design vide de collections et dépourvu de vraies missions, d’en faire une coquille vide. Il me paraît donc intéressant d’expliquer la genèse et l’évolution de ma réflexion sur la bibliothèque troisième lieu, d’évoquer les différentes sources qui l’ont alimentée, toutes les connexions qu’elle permet de faire. Il est temps de remettre du sens derrière la notion de bibliothèque troisième lieu. Ce sera d’ailleurs tout le propos du stage que j’animerai à Lausanne en mai 2014.
 
Durant ma formation de bibliothécaire à l’Enssib en 2008, j’ai eu – et c’est un des grands bénéfices de cette école – beaucoup de temps à ma disposition pour réfléchir aux bibliothèques, pour les observer, pour m’immerger dans certaines d’entre elles, soigneusement choisies ; une parenthèse méditative et expérimentale nécessaire, plus que bienvenue entre deux phases professionnelles intenses, une vie antérieure d’enseignante riche et bien remplie ainsi qu’une vie très active de bibliothécaire depuis. J’ai été à l’époque assez rapidement frappée par le climat d’inquiétude qui agitait le monde des bibliothèques, craintes au sujet de leur devenir, de leur mode de fonctionnement, de leurs missions, de leur finalité. La montée en puissance d’internet et du numérique faisait même vaciller les certitudes des pays nordiques, contrées pourtant pionnières en matière de bibliothéconomie et qui ont toujours affiché, même en des moments de creux, des taux de fréquentation insolents à nous faire pâlir d’envie. En Europe du Nord, en Angleterre, les rapports se multipliaient depuis l’aube des années 2000 pour ausculter la bibliothèque sous tous ses angles, une forme de check-up visant à sonder les maux du patient et y trouver les remèdes adéquats.
 
Lors de cette année 2008, j’ai beaucoup entendu parler de bibliothèque dématérialisée, de désaffection des publics, de taux d’emprunts et de consultation des collections en berne, laissant planer le spectre d’une possible fermeture des bibliothèques physiques plus ou moins proche. Si ces préoccupations étaient certes fondées, mon goût prononcé pour l’architecture et le bibliotourisme m’a conduit à visiter un nombre non négligeable d’établissements où ce diagnostic n’était fort heureusement pas de mise et qui recueillaient au contraire les francs suffrages du public. Constat rassérénant et rafraîchissant. Dès lors, je me suis demandé quelle alchimie pouvait bien opérer en leur sein pour susciter une telle adhésion.
 
Il me semblait y voir agir les même ingrédients que dans la « third place library », notion que je retrouvais souvent sur les blogs diserts des bibliothécaires américains. On y évoquait des bibliothèques s’articulant pour leurs collectivités comme des lieux de vie autour des livres, de l’information, des connaissances, des apprentissages, de la culture ; des espaces bruissant d’activités et de rencontres, dont le moteur était l’humain. En allant de plus en plus sur le terrain, en passant du temps dans les bibliothèques, en m’entretenant avec bibliothécaires et usagers, mon intuition s’est affinée et confirmée. Des moteurs similaires étaient bien à l’œuvre dans la bibliothèque troisième lieu et les « pépites » repérées lors de mes périples aux Pays-Bas et au Royaume-Uni[1]. Toutefois, les billets des blogs américains sur la bibliothèque troisième lieu ne faisaient qu’en esquisser les contours. Elle n’était pas explorée, explicitée, étayée, réellement exposée. Cette circonstance me souffla l’objet de mon mémoire d’étude. Entrer dans les rouages de la théorie « troisième lieu », concept forgé au début des années 80 sans lien avec la bibliothèque, interroger pourtant sa possible adéquation avec celle-ci, étudier la pertinence de cette association, en trouver les meilleures traductions concrètes et en illustrer les ressorts fut une entreprise réellement enthousiasmante.
 
Le troisième lieu, qu’était-ce, qu’est-ce finalement? Le professeur de sociologie urbaine, Ray Oldenburg, l’a forgé et pensé comme antidote face à l’hostilité croissante du milieu urbain, à l’essor de modes de vie de plus en plus individualisés et fragmentés, au délitement du lien social.  Dans son ouvrage « The great good place. Cafés, coffee shops, bookstores, bars, hair salons and other hangouts at the heart of the community », il insiste sur l’urgence de réinstaurer une vie publique, de retisser du lien entre individus, de les aider à développer un sentiment d’appartenance communautaire, ferments nécessaires à une société démocratique en bonne santé. Dans ce contexte, le troisième lieu fonctionne comme volet complémentaire du premier lieu, sphère du foyer, de l’intime et du second lieu, domaine réservé au travail. Il se veut un espace propice à l’épanouissement d’une vie communautaire informelle. Il incite à l’interaction avec les autres et à la mixité sociale. Cafés, pubs, épiceries de quartier, échoppes de barbiers, relais postaux, églises, piazzas, places de marchés, rues principales, parcs, fraternités, chorales, associations de pompiers volontaires, sportives ou de toute nature pouvaient ou peuvent encore pour certains d’entre eux faire office de troisième lieu. Cette lecture m’a poussée à me pencher sur nombres d’entreprises citoyennes, dispositifs variés, révélateurs d’une volonté de lutter contre l’étiolement du capital social, à l’instar ce que décrit le sociologue Robert Putnam dans son ouvrage « Better together », où celui-ci livre une sorte de vade-mecum de ces actions et en détaille de nombreux exemples. La bibliothèque de Chicago y est d’ailleurs assimilée à un troisième lieu idoine, un point névralgique de la vie de la collectivité. Cette approche de la bibliothèque a tout de suite fait écho aux questionnements particulièrement vifs qui avaient accompagné mon exercice d’enseignante pendant plusieurs années en banlieue parisienne. Comment faire société, comment nourrir une cohésion sociale et culturelle de plus en plus défaillante[2]?
 
A travers mes pérégrinations, j’ai mesuré à quel point cette attention au lien et à l’interaction, en bibliothèque, passait d’abord par une attention aux lieux. Une des portes d’entrée de la bibliothèque troisième lieu fut donc pour moi l’architecture et l’atmosphèreComment proposer aux usagers des lieux accessibles, accueillants, chaleureux, inclusifs, des lieux « réparateurs » ? Sans conteste, toute une famille de nouvelles bibliothèques déploie aujourd’hui une nouvelle sémantique architecturale allant sciemment en ce sens. Celles-ci s’inscrivent en faux avec l’acception des bibliothèques comme temples du savoir, lieux intimidants, inhibants, par trop d’ostentation ou d’épure, lieux « sous cloche » n’invitant guère la bigarrure de la vie et des usagers à entrer en eux. L’intérêt pour l’architecture m’avait poussée à rédiger un petit mémoire sur les Idea Stores et à découvrir par la suite des univers colorés, attrayants, confortables, conviviaux, de la Dok à Delft ou l’OBA à Amsterdam en passant par le Fil rouge de Hjorring et la Library 10 à Helsinki ou encore les bibliothèques Marguerite Yourcenar ou Louise Michel à Paris. Dans ces univers, on se sent réellement à l’aise, on se sent le bienvenu. Le résultat est très probant, il suffit de le tester soi-même. On y voit des usagers s’approprier l’espace, presque comme s’ils étaient chez eux, optant pour des postures ou des attitudes parfois nonchalantes, signe que la bibliothèque leur a permis d’en faire leur territoire. Les usagers ne s’y trompent pas et y sont partout au rendez-vous.
 
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Les bibliothèques troisième lieu sont flexibles et savent ménager des espaces à de nouvelles pratiques : étude, détente, loisir, échange,... Vastes plateaux, box et tables de travail isolés, espaces intimistes et cosys invitant à une lecture prolongée avec toute une palette d’assises différentes,  salles de travail en groupes ou encore cafés peuvent ainsi rythmer les espaces. Les possibilités sont multiples. Ainsi, la bibliothèque d’Helsinki a élaboré un projet pilote, le meeting point, véritable maker space inspiré des living labs, imaginée comme une plateforme de construction des savoirs avec l’usager, permettant de développer des idées, des produits, des prototypes, des services, pour le travail, les loisirs ou le plaisir de créer. De son côté, l’entreprise canadienne « Espace temps » a  finalisé il y a peu l’intégration d’un espace public au sein d’une bibliothèque montréalaise, conçu pour la rencontre entre citoyens, l’apprentissage informel et l’échange de connaissances dans la communauté. Nous sommes ici tout à fait dans l’essence du troisième lieu : la mise en présence d’individus, la mise à disposition d’un cadre favorisant leur interaction. Pendant le travail de recherche en amont de mon mémoire et la phase de rédaction, j’avais commencé à m’intéresser à la dimension participative qu’encourageait la bibliothèque troisième lieu. Elle était déjà avérée, par exemple à Heerhugowaard, où les architectes avaient travaillé avec les enfants de la ville afin d’y intégrer certaines de leurs idées, dont un grand canapé bleu, se déroulant le long d’une longue façade vitrée avec une vue panoramique sur les alentours, véritable poumon de sociabilité, où les familles se retrouvaient pour lire, écouter de la musique, jouer, discuter.
 
Les démarches collaboratives et citoyennes n’ont fait que se multiplier depuis (fabs labs, initiatives des biens communs, crowdfunding, etc.). Les lectures sur l’implication des individus, leur envie de devenir acteurs[3], les vertus de la fraternité, de la collaboration, les entreprises qui favorisent le vivre-ensemble[4], l’empathie, la bienveillance[5] irriguent ma réflexion sur les bibliothèques troisième lieu et m’ont confortée dans la conviction que les bibliothèques ne doivent pas rester à l’écart des évolutions technologiques, mais aussi sociétales et citoyennes qui sont de toute façon en grande partie liées ! Elles doivent même s’en faire le réceptacle privilégié. C’est le cas de la bibliothèque de Lezoux dont le projet a été élaboré en concertation avec les usagers et qui proposera notamment une cabane de co-working et un fonds des savoirs-faire locaux. A Tapanila, petite bibliothèque finlandaise de la banlieue d’Helsinki, les bibliothécaires ont réfléchi avec les usagers à l’aménagement, aux missions de la bibliothèque au moment de sa rénovation en 2012. Et le résultat est saisissant : cette petite structure est pleine de vie et connaît un taux de fréquentation record. Pourtant, seuls quatre bibliothécaires y travaillent, mais les usagers sont partie prenante de nombreuses actions de médiation et contribuent à la réussite de ce projet. A Saint-Aubin du Pavail en France, une toute petite commune de Bretagne, un seul salarié, Gildas Carillo anime la médiathèque Philéas Fogg[6] avec quatorze bénévoles et propose une programmation culturelle riche et variée. Elle est très plébiscitée par les usagers, c’est devenu réellement leur lieu et ils en sont très fiers. Le troisième lieu se prête particulièrement aux équipements de petites et moyennes dimensions, car ils sont plus propices à la proximité avec et entre usagers. Mais dans des établissements de toutes tailles, des initiatives favorisant l’humain, l’échange peuvent prendre place. A une autre échelle, à la Bibliothèque publique d’information au Centre Pompidou à Paris, des ateliers de conversation en français langue étrangère[7] permettent aux usagers de pratiquer la langue en discutant de thèmes de natures très diverses (sortir à Paris, le sens que l’on donne au travail, le logement, ville ou campagne, la place de la femme dans la société, l’utilisation de Facebook, les Unes des journaux, la cuisine, etc.). Ces ateliers réunissent des usagers de tous horizons sociaux, culturels, générationnels : des étudiants autrichiens ou asiatiques peuvent par exemple côtoyer un migrant afghan, une femme de diplomate argentin, un ouvrier polonais, une thésarde japonaise en littérature comparée, un veilleur de nuit sri lankais, un serveur péruvien, un retraité italien tombé amoureux d’une française, une économiste américaine faisant ses recherches à la bibliothèques, un brésilienne de passage passionné par la culture française, etc. Les participants sont férus de ces ateliers, les débats y sont très riches, on y apprend beaucoup des pratiques, des ancrages culturels, des vécus de chacun, c’est émouvant et humain. D’ailleurs, les usagers ont créé une page facebook à leur initiative et plusieurs d’entre eux se retrouvent en dehors pour prolonger leurs échanges.
 
On pourrait penser que l’on n’accorde guère d’attention aux livres dans ces bibliothèques, mais il n’en est rien. Cette critique souvent adressée aux bibliothèques troisième lieu en fait une lecture erronée, en la réduisant à un lieu dépourvu de collections et de missions culturelles. Or, les collections sont très présentes, souvent plus empruntées qu’ailleurs, mais elles sont plus aérées, mieux mises en valeur, voire mises en scène, associées plus étroitement aux diverses actions de médiation, plus en lien avec les besoins spécifiques des usagers. Elles occupent une place centrale, mais font partie d’une offre culturelle plus large. La bibliothèque, ce sont bien sûr les livres, mais aussi les films, la musique, l’information, l’apprentissage tout au long de la vie, les débats, les échanges, les ateliers et tout service ou manifestation qui peut être pertinent dans un projet précis. A la Library 10, petite bibliothèque dédiée en grande partie à la musique à Helsinki qui rencontre le plus fort taux de fréquentation de Finlande, la plupart des usagers sont des hommes qui ont entre 18 et 35 ans. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit justement d’un projet qui a été réellement défini pour eux, d’un lieu de vie autour des collections et de différentes pratiques et activités. On peut y lire, y travailler, y retrouver ses amis, écouter des concerts dont certains faits par les usagers, assister à des émissions de radio, participer à des ateliers de création musicale, se faire accompagner par les bibliothécaires pour découvrir son identité musicale, etc. L’ambiance y est conviviale et enjouée, les contenus et les usages éclectiques. Pour de nombreux établissements nordiques et anglo-saxons, il est incontestable depuis longtemps qu’une bibliothèque ne consiste pas seulement en des rayonnages de livres, mais qu’elle doit proposer une culture multiple, abondante, excitante qui s’adresse à un usager omnivore. Une offre qui permet de s’informer, d’apprendre des choses, par divers biais, divers supports et d’y prendre plaisir, ce qui n’est absolument pas antinomique. Une offre alimentée par une « culture chaude » comme la prône le sociologue Claude Poissenot.
 
En travaillant sur le troisième lieu, je me suis beaucoup intéressée également aux écrits de Bernard Lahire sur les « dissonances culturelles ». Aujourd’hui, l’appréhension de la culture est en effet résolument plurielle. Les frontières entre culture « légitime » et culture « mainstream » qu’évoque de son côté Frédéric Martel sont poreuses. La plupart des individus – y compris ceux issus de milieux privilégiés sur un plan culturel – connaissent des pratiques « dissonantes » et puisent dans des registres culturels variés : on peut lire Marcel Proust, des mangas et des ouvrages de cuisine, adorer les blockbusters américains et des séries explorant plus en profondeur la psychologie des personnages, écouter du hip-hop, Chopin, Jacques Brel et de la variété. Les mosaïques des goûts personnels peuvent varier à l’infini. La transmission de contenus culturels ne peut plus passer par la seule prescription, mais doit se faire sur un mode plus horizontal. Il faut partir de là où sont les gens, respecter leurs références culturelles, les inviter à les approfondir s’ils le souhaitent et à en découvrir d’autres, les ouvrir à la richesse du monde et de la vie de façon stimulante. C’est d’autant plus vrai pour les publics que les bibliothèques rêvent tant de toucher, comme les adolescents. La sociologue Chantal Dahan, chargée d’étude à l’INJEP, spécialiste des pratiques culturelles des adolescents et de leur rapport aux institutions le dit très bien[8] : les spécialistes, collègues des musées ou bibliothécaires, n’ont pas à adhérer ou non à ce que désirent les adolescents, mais doivent les accompagner dans leur cheminement culturel. Ceci vaut également pour les autres usagers. Je trouve très pertinent le concept des « intelligences multiples », développé par Howard Gardner, professeur en psychologie du développement à Harvard, qui insiste sur le fait que dans le milieu scolaire sont trop souvent pris en compte les seules intelligences arithmétique et littéraire, au détriment de toutes les autres, artistique, musicale, kinesthésique, naturaliste, émotionnelle, interpersonnelle, etc. La bibliothèque n’est pas l’école, elle doit s’adresser à tous les usagers par des biais qui leur correspondent. On peut aussi bien sûr traiter de sujets ambitieux, intellectuels et pointus en bibliothèque, mais l’approche voulue par le troisième lieu nécessite en tous cas de trouver un angle, un mode de transmission qui fasse sens pour les usagers. C’est une démarche inclusive, une démarche d’accompagnement. Le bibliothécaire agit en ce sens en passeur, en « coach du savoir » pour reprendre une expression de Patrick Bazin.
 
La spécificité de l’approche troisième lieu, c’est de bâtir un projet, une offre de collections, d’espaces et de services tout à la fois, en partant des publics desservis, du contexte social et citoyen. Ainsi, la Queen’s Library prend en compte très finement ses différents publics et propose des collections et des animations calquées sur mesure aux besoins de ses usagers. Des débats sur le sens de la démocratie ou la nourriture organique, des ateliers informatiques ou sur les soins pour les seniors, des aides à la recherche d’emploi ou des permanences juridiques peuvent y prendre place et ce en différentes langues. La bibliothèque troisième lieu s’articule assez naturellement à son environnement proche et n’hésite pas à jeter des ponts vers d’autres champs quand cela s’avère judicieux, à l’instar des Kulturhus nordiques qui combinent plusieurs entités, un peu à la façon de légos que l’on pourrait agencer en fonction des nécessités. Ainsi, à Olst, aux Pays-Bas sont réunis au sein d’une même structure une bibliothèque, un office du tourisme, des service municipaux, une banque, une antenne de police, une école de musique, un magasin de commerce équitable et un autre tenu par des handicapés, une salle de spectacle, des locaux pouvant être louées à des associations ou à des entreprises. Le Kulturhus d’Olst est devenu le lieu phare de cette petite collectivité hollandaise, il a dopé la vie locale et l’on sait que l’on va toujours pouvoir y retrouver quelqu’un et venir y faire toutes sortes de choses. La colocation de ces différents services permet leur maintien, notamment en milieu rural et parfois l’introduction du livre là où il n’y en avait pas. Ce type de configuration me paraît de plus en plus probant dans certaines circonstances : à une rencontre de bibliothécaires nordiques et baltiques se tenant à Helsinki en septembre dernier, j’ai notamment pris connaissance d’un fabuleux projet à Riga à destination de personnes sans abri qui rassemble en un même bâtiment une bibliothèque, des services sociaux, un accompagnement par des psychologues, un encadrement pour la recherche d’emploi, des douches et des possibilités de restauration, des rencontres et des animations culturelles. Cette initiative a réellement porté ses fruits et 40% des usagers ayant fréquenté la structure assidûment un certain temps retrouvent ensuite du travail. Le fait d’appréhender l’individu dans sa globalité, de mieux comprendre son ressenti intellectuel, culturel, émotionnel nourrit d’ailleurs de plus en plus mon travail sur les bibliothèques troisième lieu.
 
Si toutes les bibliothèques n’ont pas forcément vocation à avoir une dimension sociale forte, inventer de nouvelles interprétations de la bibliothèque en plaçant l’humain et le collectif au centre est primordial. Il faut à mon avis s’imprégner de qui se passe partout dans la société, en dehors de la bibliothèque, dans sa ville, dans son pays, à l’étranger, dans d’autres institutions culturelles et dans d’autres lieux qui « fonctionnent » et ont du sens pour les usagers. Il est important d’en tirer des enseignements et de les appliquer à la bibliothèque, qui ne doit pas être une enclave, mais une caisse de résonnance de la société, un lieu très ouvert sur le monde et la culture, un lieu permettant d’en livrer des clés, des grilles de lecture, un lieu qui permet de mieux vivre. C’est en tous cas le pari que doit faire la bibliothèque troisième lieu à mon sens. Projet ambitieux certes, mais qui peut se faire à toutes les échelles et même très modestement. Car tout compte, chaque pas compte. La notion de bibliothèque troisième lieu n’a pas réinventé la bibliothèque, nombreuses d’entre elles fonctionnaient déjà ainsi, mais elle montre cependant que la marge de manœuvre est grande pour beaucoup d’entre elles. Il ne s’agit pas de vains mots, les nombreuses traductions concrètes et réussies témoignent de sa tangibilté. Les discours théoriques n’ont d’intérêt en matière de démocratisation culturelle ou de citoyenneté que s’ils trouvent une application avérée et concluante. Il ne s’agit pas non plus d’être figé dans des postures, mais d’expérimenter, de tester, d’innover pour proposer aux usagers des expériences culturelles pertinentes pour eux.
 
Prôner un modèle unique n’a pas de sens, on l’a vu et on le verra au cours du stage de Lausanne, la bibliothèque troisième lieu peut connaître des déclinaisons très variées.
Elle constitue en outre une option dans la famille des bibliothèques qui doit rester très élargie avec des établissements de toutes natures, généralistes, spécialisés, de recherche, d’étude, universitaire ou de loisirs. 
 
Mathilde Servet
 
 
Mathilde Servet propose en mai 2014 un stage autour de la thématique « Bibliothèque troisième lieu ».

Description du cours >
 

 

[1] Depuis 2008, j’ai visité bien d’autres bibliothèques, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, les mêmes que pour mon mémoire cinq ans plus tard et de nombreuses autres ; au Danemark, en Suède, en Finlande, en Islande, en France et ailleurs, aux Etats-Unis et dans d’autres pays. J’y distingue toujours une superposition de mécanismes.
[2] Le troisième lieu entrait en résonance avec plusieurs de mes lectures de sociologues comme François de Singly, mettant en relief tout comme Putnam l’importance d’un « nous » fort, respectueux des « je », c’est-à-dire des différentes formes d’individualités, en quête d’autonomie et qui ne sauraient plus s’encombrer aujourd’hui des entraves libertaires inhérentes aux sociétés antérieures ; ou d’économistes comme Pierre Cahuc et Yann Algan documentant les effets de la défiance et de l’incivisme sur l’économie, l’emploi ainsi que l’aptitude au bonheur des individus de façon plus générale et engageant à la reconstruction de la confiance ; de bien d’autres auteurs encore sur le bonheur et ce qui donne sens à la vie des individus, notamment « L’hypothèse du bonheur : la redécouverte de la sagesse ancienne dans la science contemporaine  » du professeur de psychologie sociale, Jonathan Haidt.
[3] « Le sacre de l’amateur » de Patrice Flichy, « Here comes everybody » de Clay Shirky, etc.
[4] « La promesse de l’autre » de Jean-louis Sanchez, « Better Together » de Putnam, « L’obsession du citoyen » de Roger Lachance, « Refaire société », ouvrage collectif, dirigé par Pierre Rosanvallon, etc.
[5] « Give and take » d’Adam Grant, « L’art d’être bon » de Stefan Einhorn, etc.
[6] Cette bibliothèque vient d’ailleurs de remporter le coup de cœur du jury livres hebdo 2013, à juste titre !
[7] La Bpi propose plusieurs ateliers de conversation en langues (français langue étrangère, espagnol, anglais, portugais du brésil, etc.). Ceux-ci ont été mis en place il y a quelques à l’initiative de Cécile Denier, bibliothécaire alors en poste au service autoformation. Les usagers demandaient effectivement toujours à pratiquer la langue en complément des ressources très riches proposées par l’autoformation. Leur succès a été immédiat et ne s‘est pas démenti depuis.
[8] Dahan, Chantal : Les adolescents et la culture, un défi pour les institutions muséales. Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire. Cahiers de l’action n°38, 2013.
 

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