Tous ensemble pour un nouveau bus

12.08.2019 | Par Julie Greub | Relations publiques | Finances | Collecte de fonds| Crowdfunding| Sponsoring

Les fonds propres et les subventions ne suffisant pas pour remplacer le bus le plus âgé, les responsables du Bibliobus de l’UP jurassienne ont eu recours au crowdfunding et au sponsoring.

Par Julie Greub
Julie Greub est active en lecture publique depuis plus de 20 ans. Elle a travaillé comme bibliothécaire à la Médiathèque du CIP (Tramelan), puis à la Bibliothèque de la Ville de Bienne, où elle a été vice-directrice et responsable de la Section des adultes. Depuis 2013, elle dirige le Bibliobus de l’UP jurassienne (Delémont). Julie Greub s’est engagée dans le Comité central CLP et est membre de la Commission des bibliothèques du canton de Berne. Elle préside également l’Association jurassienne de bibliothécaires.
Le Bibliobus de l’UP jurassienne, bibliothèque mobile dans le Jura bernois et le canton du Jura, dessert 104 villages de sa région. Pour cela, il fonctionne avec trois bus spécialement aménagés en bibliothèque. Le plus ancien des trois bus, âgé de 22 ans, doit impérativement être remplacé.
 
 
Problème : les fonds disponibles ne suffisent pas pour permettre l’investissement de plus d’un demi-million de francs. Il s’agit donc de faire preuve de créativité et de motivation pour atteindre cet objectif.
 
Un bibliobus spécialement équipé coûte plus de CHF 550'000.00. Le mode de subventionnement de notre service ne prévoyant pas l’amortissement des véhicules, il était donc indispensable de solliciter nos financeurs pour une telle dépense.  Le canton de Berne (via le Conseil du Jura bernois) et le canton du Jura (via la Délégation jurassienne à la Loterie romande) ont heureusement répondu positivement à notre demande. Nous avons également pu constituer une petite réserve avec nos fonds propres, à laquelle s’est ajouté un don de plus de CHF 11'000.00 des Eglises réformées Berne-Jura-Soleure.
 
Cette première étape encourageante nous permettait déjà de disposer de plus de la moitié du montant nécessaire. Mais la deuxième étape n’en a été que plus intense. Le soutien des instances publiques étant acquis, nous nous sommes tournés vers le domaine privé. A l’aide du Répertoire suisse des fondations, nous avons sélectionné celles dont les statuts prévoient le soutien aux bibliothèques, à la formation, à la lecture et à la jeunesse. Nous avons aussi approché les fondations actives dans le Jura et le Jura bernois, ainsi que des organisations telles que le Parrainage des régions de montagne, le Pourcent culturel Migros et l’Office fédéral de la culture. Sur une période de deux ans, 22 dossiers ont été établis un par un et envoyés à ces fondations. Au final, 4 organisations ont répondu positivement, et nous ont accordé un montant total de CHF 31'000.00.
 
Une troisième étape s’imposait donc, et nous avons décidé de ne pas la franchir tous seuls. La recherche de fonds nécessitant des compétences et connaissances particulières, nous avons décidé de confier un mandat à Pomzed, l’agence de graphisme et communication qui nous accompagne depuis plusieurs années. Le mandat englobait la définition d’une stratégie de recherche de fonds, la mise en place de mesures concrètes et le suivi du projet.
Après discussion et évaluation des mesures proposées, nous avons retenu les actions suivantes : lancement d’une campagne de crowdfunding ; demande de sponsoring auprès des entreprises régionales ; organisation d’un concours pour le grand public ; sollicitation des communes. Ces mesures étaient toutes rendues visibles par la création d’un site internet spécifiquement dédié à la campagne (micro-site) : www.nouveau-bibliobus.ch.
 
Le crowdfunding – mais qu’est-ce donc ?
Par ce terme anglais un peu obscur, on veut parler de financement participatif. Le principe est simple : si je veux lancer un projet et que je n’ai pas tout le financement nécessaire pour le réaliser, je lance un appel aux dons. Toutes les personnes qui sont convaincues par mon projet peuvent le soutenir en versant un montant (libre ou prédéfini), qui donne droit à une contrepartie. Si la totalité du montant à récolter est assurée à la fin du délai fixé, mon projet pourra se réaliser. En revanche, si je n’ai obtenu suffisamment de soutien, mon projet ne se fera pas – et les donateurs qui avaient fait une promesse de don ne paieront rien.
 
L’intérêt du crowdfunding est qu’il permet de toucher un public très large, et pas uniquement de sa région proche. Il faut bien sûr que le projet soit présenté de manière convaincante, touchante et pourquoi pas avec un peu d’humour – il est permis de se démarquer !
 
Pour lancer notre projet, l’agence Pomzed nous a conseillé de travailler avec la plateforme Wemakeit, l’une des plus connues en Suisse. Nous avons défini ensemble la stratégie de présentation, puis déterminé le montant à réunir et le délai. Il était clair que nous ne pourrions pas réunir CHF 100'000.00 par exemple, cela aurait été trop ambitieux. Nous avons choisi de fixer l’objectif à CHF 25'000.00, à réunir en 45 jours.
 
Le crowdfunding a ceci d’intéressant que les personnes qui choisissent de soutenir un projet (les donateurs) peuvent recevoir une contrepartie en lien avec le montant donné. Pour les responsables du projet, il faut bien choisir ces contreparties, qui ne doivent pas avoir un coût trop élevé (ce qui diminuerait le total du montant récolté). En tant que bibliothèque, nous avons choisi des contreparties classiques : un marque-page, un sac cabas pour porter des livres, une dédicace dans un livre ou un DVD, un abonnement annuel, un livre surprise (choisi parmi les nombreux livres reçus en don) ou un petit bibliobus en carton à bricoler. Mais l’agence de communication nous a aussi proposé des contreparties plus originales et décalées : un « sapin magique » bibliobus parfumé pour la voiture, le parrainage d’un plein d’essence ou d’un pneu pour le nouveau bus, un tour exclusif en bibliobus avec un apéritif offert, avoir son nom écrit sur le bus ou même participer à une soirée contes dans le bibliobus avec 10 amis (hélas personne n’a choisi cette option).
 
Pour animer la page de notre projet sur la plateforme Wemakeit, nous avons également réalisé une vidéo de présentation que nous avons ensuite diffusée sur les réseaux sociaux.
 
Une fois la page terminée, il s’est agi de parler de notre projet autour de nous. Dans un premier lieu, nous avons partagé l’information avec notre famille, nos amis et nos connaissances proches. Les moyens les plus pratiques étaient WhatsApp et les e-mails. Dans une deuxième étape, tous les lecteurs du Bibliobus ont reçu un courrier personnalisé, les informant de notre projet et expliquant comment le soutenir. Nous avons aussi informé nos collègues bibliothécaires via Swiss-Lib, et tous les partenaires et fournisseurs du Bibliobus via e-mail. Dans cette étape, le réseautage est extrêmement important !
 
C’est seulement ensuite que nous avons lancé officiellement le décompte des jours sur Wemakeit, et fait connaître notre projet du grand public en publiant un communiqué de presse. L’agence Pomzed nous a aussi préparé une diapositive publicitaire qui a été diffusée dans plusieurs salles de cinéma de la région.
 
A ce propos : la période de lancement du projet doit être mûrement réfléchie. Nous avons choisi le mois de décembre, car la période d’avant Noël est assez propice à la générosité. En outre, pour les cinémas, de nombreux films familiaux (Disney, blockbusters, etc.) sortent à cette période et attirent un large public. C’est donc une très bonne opportunité de se rendre visible – et les prix sont plutôt abordables.
 
Le démarrage du projet sur Wemakeit a été rapide : les premiers dons sont arrivés très vite ! Nous avons aussi été surpris de voir que les donateurs provenaient de toute la Suisse (parfois même de l’étranger) et pas uniquement de notre région. C’est un signe encourageant que notre projet a du sens et qu’il mérite d’être réalisé. Le crowdfunding est cependant dangereux pour les nerfs, car on se retrouve vite à surveiller l’évolution de la cagnotte, surtout durant les derniers jours…
 
Notre objectif a été atteint et même dépassé, puisque CHF 25'817.00 ont été récoltés en 45 jours. (A ce montant, il faut déduire une commission de 10% prélevée par Wemakeit pour les frais de gestion). 385 donatrices et donateurs ont soutenu notre projet. Et en parallèle, 287 autres personnes ont fait un don, soit par bulletin de versement, soit directement dans nos bus. Des dons très souvent accompagnés de messages d’encouragement et de soutien qui nous ont émus et touchés : chaque don a compté, quel que soit son montant.
 
Le sponsoring – comment s’y prendre ?
Après avoir sollicité les pouvoirs publics et les fondations, nous avons choisi faire appel aux entreprises de la région. L’agence Pomzed a préparé un dossier de sponsoring détaillé, présentant de manière claire notre projet (besoin d’un nouveau bus) et les différentes manières de le soutenir. Les entreprises pouvaient choisir de faire figurer leur logo sur le futur bus, pour une durée de 1 mois à 10 ans (en fonction du montant), ou sur notre site internet (pour une durée d’une année). Un « simple » don était aussi possible.
Une fois le message clairement défini, il a fallu déterminer à qui nous voulions envoyer ce dossier. Plus de 100 entreprises du Jura bernois et du Jura ont été sélectionnées, dans plusieurs domaines d’activités. Nous avons fait des choix en fonction de la taille des entreprises (nous n’avons p.ex. pas sollicité les salons de coiffure ni les petits restaurants) et de leur domaine d’activité (une entreprise de tabac n’a pas été retenue non plus). Nous devions rester cohérents avec nos valeurs et missions, en prenant le risque voir associés une marque ou un produit avec notre service.
 
 
Peut-être est-ce à cause de la conjoncture, ou de la forte sollicitation des entreprises pour d’autres projets, mais ce sponsoring n’a permis de récolter « que » CHF 9'100.00.
 
Un concours – mieux que le « poids du cochon »
Une autre idée pour récolter des fonds a été le lancement d’un concours original : il s’agissait de deviner combien de kilomètres le vieux bus a parcourus en 20 ans. Sur le principe bien connu du « poids du cochon », chaque mise coûte CHF 5.00 et chaque participant peut miser autant de fois qu’il le souhaite. Il était possible de participer soit en ligne via notre site spécial, soit directement dans les bibliobus. La réponse la plus proche remportait une tablette numérique. Est-ce dû au fait que près de 700 personnes avaient déjà fait un don en début d’année ? Toujours est-il que ce concours n’a hélas pas connu le succès espéré et que très peu de personnes y ont participé. Mais nous avons au moins fait un heureux gagnant (et au passage, la réponse était : 270'419 km).
 
Les communes, partenaires essentiels
Pour son activité régulière, le Bibliobus est soutenu non seulement par les cantons de Berne et du Jura, mais aussi par 72 communes qui lui versent une subvention annuelle. Nous avons donc décidé de solliciter ces communes pour un soutien, à titre exceptionnel, à notre projet de nouveau bus. Notre stratégie a été de différencier les communes en fonction de leur taille : ainsi, les communes de moins de 1'000 habitants ont été invitées à verser un montant de CHF 1'000, et celles de plus de 1'000 habitants se sont vues proposer de verser CHF 1.00 par habitant. Cette tactique a porté ses fruits, puisque presque toutes ont répondu positivement. Chaque commune a donné en fonction de ses capacités (beaucoup connaissent une situation financière critique), et les montants versés ont varié entre CHF 100.00 et CHF 4007. Cette action a finalement permis de récolter CHF 51'702.
 
Et encore…
Les clubs services (p.ex. Rotary, Lions, Zonta etc.) soutiennent souvent des projets régionaux dans le cadre de leur mission de philanthropie. Il vaut la peine de les approcher, toutefois un contact personnel préalable (p.ex. par une connaissance commune) permet d’appuyer la demande et ne pas être qu’une énième sollicitation. Dans notre cas, deux clubs sur les 6 approchés ont accordé un soutien.
 
Quelques conseils
Il n’y a pas de recette magique pour qu’un projet de récolte de fonds aboutisse. Chaque projet est unique et nécessite une stratégie bien précise, qui ne sera pas la même pour une autre bibliothèque. En revanche, quelques conseils généraux peuvent aider à mettre toutes les chances de son côté :
  • Ne pas travailler seul : savoir reconnaître ses limites et se faire aider par des professionnels (p.ex. agence de communication). Cela a un coût, certes, mais augmente les chances de succès.
  • Soigner en tout temps sa communication, et pas uniquement au moment où l’on a besoin d’argent : un site web soigné, un joli logo, une présence sur les réseaux sociaux etc. donnent une image sérieuse et professionnelle, qui inspire la confiance et incite à soutenir.
  • Adapter son message à son interlocuteur : on ne s’adresse pas de la même manière aux usagers de la bibliothèque qu’au grand public ou au Conseil d’une fondation. Il faut adapter le ton et la forme.
  • Développer un bon réseau : avec les décideurs, les entreprises de la région, mais aussi avec les médias. Profiter des contacts avec les journaux régionaux ou locaux qui peuvent être un excellent relais.
  • Etre patient (les fondations peuvent mettre beaucoup de temps à répondre), endurant (chaque dossier doit être individualisé et réécrit à chaque fois), mais aussi créatif (oser innover et être décalé !) et réactif (savoir changer de stratégie à court terme).
  • Pas besoin de tout imprimer : les outils actuels (Internet, réseaux sociaux, e-mails, WhatsApp etc.) permettent une diffusion rapide et à large échelle. En utilisant « l’effet boule de neige », il est très facile de faire passer l’information. Des flyers et autres affiches ne sont donc pas nécessaires, en tous les cas pas en grande quantité.
 
Et la suite ?
L’ensemble de la campagne a nécessité un investissement de CHF 16'000.00, qui couvrait le mandat pour l’agence de communication, la publicité dans les salles de cinéma et l’envoi du mailing à tous les abonnés du Bibliobus.
 
Les montants récoltés par le biais de la campagne se sont montés à CHF 106'000.00. A l’heure actuelle, CHF 516'000.00 sont garantis. La somme manquante pour réaliser l’achat du nouveau bus, dont la fabrication a commencé durant l’été 2019, sera réunie par un emprunt.
 
Le nouveau bus devrait prendre la route au début de l’année 2020. Cela grâce au soutien de près de 700 donatrices et donateurs qui ont cru à notre projet. Qu’ils en soient ici chaleureusement remerciés !
 

Julie Greub
Directrice du Bibliobus de l'Université populaire jurassienne
 
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